J'ai tellement trouvé cette entrevue enrichissante, que je désire la partager avec vous.
Patrick Masbourian - Qu'est-ce que l'autisme?Laurent Mottron - L'autisme est une condition d'origine neuro-développementale, probablement génétique, qui se caractérise par une modification du traitement de l'information, aussi bien social (les visages, les émotions) que non social (la perception en général) et cela depuis le début du développement.
PM - Concrètement, cela veut dire quoi? On gère l'information différemment?LM - D'une part, elle est perçue différemment. On sait maintenant que la perception d'un autiste est plus aigue que la nôtre. Ils arrivent à discriminer des choses que nous n'arrivons pas à discriminer, particulièrement dans la modalité auditive, mais également dans la modalité visuelle. Mais ils ont également une capacité que nous on a pas, qui est de regarder le monde juste comme il est. C'est à dire de faire juste que percevoir les formes, les lumières, les mouvements sans , comme on le fait nous, immédiatement les nommer ou les catégoriser. On pourrait dire que chez eux la perception a une espèce d'autonomie qu'elle n'a pas chez nous.
PM - Et cela se traduit par des capacités intellectuelles extraordinaires?LM - Avant tout différentes des nôtres. Je vais vous donner un exemple qu'est celui de l'acquisition de code écrit. Nous, les enfants apprennent à lire au Québec en général aux alentours de l'âge de six ans. Mais il y a des autistes et des syndromes d'Asperger qui apprennent, sans aucun effort et sans aucun professeur, à décoder le code écrit d'eux-mêmes vers l'âge de 4 ans. Ça ne veut pas dire qu'ils comprennent ce qu'ils lisent au même niveau qu'ils sont capable de lire, mais la compréhension vient ensuite six mois ou un an après.
PM - Donc, finalement c'est quoi? C'est une forme d'intelligence?
LM - C'est une intelligence différente qui se caractérise par un rapport différent à la perception. La place de la perception dans l'intelligence qui est différente. Nous, on peut dire qu'on a une perception bête, c'est à dire qu'on perçoit juste pour pouvoir avoir des émotions et être capable de nommer, mais dès que la perception a fait ce travail-là, on l'envoie promener. Pour les autistes, la perception a plus d'importance et on sait par exemple par des travaux qui se font en résonnance magnétique fonctionnelle que les autistes sont capables de résoudre des tâches, que nous on résout grâce au langage, eux ils les résolvent grâce à un usage accru de la perception.
PM - Je comprends qu'il n'y a pas nécessairement d'intérêt à quantifier l'intelligence (plus grande ou plus petite) mais quand même on a souvent associé l'autisme à un déficit et là ce que vous me dites, c'est qu'au contraire c'est gens-là auraient des capacités différentes mais extraordinaire?
LM - On a toujours su qu'il y avait des autistes d'intelligence normale. On disait que 75% d'entre eux avaient une déficience intellectuelle et 25% était d'intelligence normale. Ce que nous, on a mis en valeur, c'est que ce chiffre est probablement faux pour plusieurs raisons. Il est faux d'abord, car ça dépend du test utilisé. Les 75% sont obtenus en utilisant les échelles de Wechsler, qui sont les tests que nous on utilise pour obtenir le traditionnel QI. Or il existe une autre échelle, qui est ce qu'on appelle les matrices de Raven, qui ne nécessite pas d'instructions verbales et qui chez nous est corrélé à tous les autres tests. Cela veut dire que si vous, vous avez un QI de 130 aux matrices de Raven, si je vous fais passer à peu près tous les autres tests d'intelligence, vous allez avoir à peu près le même résultat. Chez les autistes, on a pas du tout cette situation-là. Ils ont un certain niveaux aux matrice de Raven, mais quand on leur fait passer le Wechsler, le QI traditionnel, ils ont 30 percentiles en moins en moyenne. Et dans certains cas, spécialement pour les autistes mutiques (des autistes qui ne parlent pas) la différence est absolument considérable. On a plusieurs personnes qui sont d'intelligence supérieure, qui sont au dessus du 90ème percentile en Raven alors qu'ils sont intestables au Wechsler. Alors, ils sont considérés comme déficient moyen. Toute proportion gardée, il se passe pour l'autisme, à peu près la même chose qu'il s'est passé pour le film "My left foot", dans lequel on révèle que quelqu'un qui paraît déficient, a en faite une intelligence normale. On ne sait pas combien d'autistes sont concernés par cette différence-là, mais on sait qu'il y en a un certain nombre parmi ceux qui sont apparemment considéré comme déficient et déficient moyen, donc déficient ne sachant pas parler et ne sachant pas lire et écrire apparemment.
P.M. - Et c'est un potentiel qu'ils peuvent exploiter?L.M. - Ça dépend probablement du type de matériel qu'ils rencontrent. On sait depuis toujours que par exemple, ce que l'on appelle les "savants de syndrome" que l'on appelait de façon très péjorative avant les "idiots savants". Donc, des gens qui ont des capacités exeptionnelles en musique et bien ce sont des gens qui ont un piano chez eux. Ils ont donc rencontré la musique. Les hyperlexiques, ces autistes qui décodent très très vite le code écrit, il faut qu'ils aient accès au code écrit. Les calculateurs de calendriers, il faut qu'ils soient exposés aux calendiriers. Donc, on se rend compte que les autistes, qui souvent ne vont pas chercher le matériel qu'ils sont capable de traiter, ont besoin d'être exposé à ce matériel.
P.M. - Comment on fait pour le déceler ce potentiel et ensuite l'encadrer?L.M. - C'est là que le résultat que l'on a, a probablement des conséquences importantes, c'est nous, on a la conviction maintenant qu'à partir du moment où un autiste présente des capacités particulières dans au moins un domaine cela doit vouloir dire qu'il est d'intelligence normale ou quasi-normale ou supérieure à la normale dans tous les autres domaines. Mais pour les mettre en valeur, il faut l'exposer à un matériel. Donc, il faut faire le pari qu'il n'est pas déficient intellectuel. Donc, vous avez un espèce de cercle vicieux. Quand on considère que quelqu'un est déficient intellectuel, on lui parle comme à un enfant pré-verbal. On lui fait des gouzis-gouzis ou l'équivalent, mais on ne s'adresse pas à lui comme à ce petit adulte que sont les autistes, qui sont souvent des grands raisonneurs, des gens logiques, des gens qui s'intéressent au code écrit, qui ont un vocabulaire exeptionnel par écrit et par oral souvent, même si ils ne paraissent pas s'intéresser à l'aspect sociale des choses. Alors, cela correspond à faire le pari de l'intelligence chez un enfant qui paraît déficient.
P.M. - Donc l'idée finalement, c'est de l'aborder complètement différemment.